Préface de Anna Gavalda accordé à la Maison de la presse pour leur guide magazine 2002 L’amour des livres :
On me demande souvent des conseils pour devenir écrivain.
Comme si je savais …
Je ne sais même pas ce que c’est, un écrivain.
C’est quoi ?
Moi, par exemple, je ne me dis pas que je suis un écrivain. Je n’oserai jamais. Alors, de là à donner un conseil …
En plus, ceux qui me le demandent se discréditent du même coup : on n’a pas idée de poser une question aussi cul-cul. "Des conseils pour devenir écrivain …" Pfff, que c’est ringard. La honte. Mais, bon, comme je suis bien élevée, j’envoie à ces péquenots une feuille que j’ai photocopiée à cent cinquante exemplaires et qui fait très bien l’affaire. En général, j’ajoute "bonne chance !" à la fin et je signe.
(Très important la signature. Je forme bien mes lettres parce qu’une signature appréciée est une signature bien lisible. Sinon ça ne sert à rien, vous vous en doutez bien …)
Sur cette feuille, on peut lire : Les dix conseils d’Hemmingway à tout jeune auteur. C’est d’ailleurs toute la différence entre Hemmingway et moi : ce gros vantard se permettait de donner des conseils, lui !
Les voici :
1. Crevez-vous à écrire.
2. Regardez le monde.
3. Fréquentez les écrivains du "bâtiment" ( ???).
4. Ne perdez pas votre temps.
5. Ecoutez la musique.
6. Regardez la peinture.
7. Lisez sans cesse.
8. Ne cherchez pas à vous expliquer.
9. Ecoutez votre bon plaisir.
10. Taisez-vous.
Ca me plaît.
Je trouve que c’est bien trouvé.
Même si ça me paraît difficile à suivre …
Comment être amoureux et se crever à écrire en même temps ? (Quand fait-on l’amour alors ?)
Et comment s’y prend-on pour être amoureux quand on n’a pas d’amoureux,
Et pourquoi fréquenter d’autres écrivains ? Pour dire du mal de nos éditeurs respectifs ?
Et comment regarder le monde quand on habite la banlieue parisienne et qu’on a deux enfants non encore sevrés ?
Et peut-on écouter son bon plaisir quand le voisin du dessus préfère la techno ? Et, etc..
Mais, bon, je le reconnais : c’est bien trouvé.
Après, chacun y ajoute son grain de sel. Certains diront qu’il manque des choses et d’autres trouveront cette liste complètement idiote (hélas oui, il y a beaucoup de gens prétentieux parmi les écrivains …)
Si l’on me demandait mon avis, je mettrais le conseil n°7 en début de liste.
Parce qu’on peut très bien écrire sans être amoureux ( sauf Helen Fielding, bien sûr … l’auteur de l’inoubliable journal de la grosse Bridget Jones) et puis on peut être un grand écrivain sans s’être usé à la tâche (voir Giuseppe di Lampedua : un seul livre, un chef d’œuvre), on doit aussi pouvoir s’en sortir sans être allé emmerder les éléphants en Afrique du Sud (Tchékhov n’aimait pas tellement les éléphants …). On peut y arriver sans écouter de musique, sans traîner au Louvre tous les quatre matins et sans fréquenter ses collègues (cf. Salinger, Beckett et quelques autres). C’est possible aussi d’y arriver sans minauder avec son bon plaisir ( Carver écrivait sur ses genoux dans sa voiture pour ne pas entendre ses gosses brailler après une journée de boulot). Sans compter qu’il y a sûrement de grands écrivains qui sont aussi de grands bavards … par contre, par contre, je ne crois pas qu’on puisse aller très loin sans lire.
Je suis même sûre du contraire.
Il faut lire pour écrire. Amoureux ou pas, à Montrouge ou en Tanzanie, au Flore ou à la cantine, IL FAUT LIRE !!!
Ceux qui écrivent et qui ne lisent pas ne font pas illusion longtemps. Il arrive toujours un moment où l’on s’en rend compte et ça ne passe plus. Voyez Minou Drouet, elle était trop jeune pour avoir lu la pauvre enfant, et bien, on s’en est rendu compte vers la fin. Eh oui …
Après c’est affaire de goût. Moi, j’ai remarqué que j’aimais surtout les écrivains qui parlent des livres des autres : Françoise Sagan est émouvante quand elle parle de Proust ou de Flaubert, c’est même le seul moment où elle articule intelligiblement ; et je n’aurais jamais connu Brautigan ou Fante si Philippe Djian ne les avait pas cités dans ses romans.
Pourtant, je n’ai pas beaucoup lu … Je le dis sans honte ni fausse coquetterie, comparée à mes amis et à beaucoup de mes collègues, je suis vide. Pas creuse. Vide.
Mais ce que je peux dire pour ma défense, c’est que les livres que j’ai lus, même s’ils tiennent tous dans une petite étagère Billy de chez Ikéa, je les ai vraiment lus. Ces livres-là, ceux dont je me souviens spontanément quand on me demande des titres, ce n’est pas moi qui les ai lus, ce sont eux qui m’ont faite.
Le rapport que j’ai aux livres est une des rares choses pour lesquelles je m’accorde un peu de crédit et de bienveillance.
C’est vrai. Je trouve que rien ne va chez moi, rien ne me plaît et rien ne me rassure. Et d’ailleurs, si je crève de faim un jour, vêtue de hardes en acrylique, si je dois animer des ateliers d’écriture ou pérorer dans des médiathèques et autres Maisons de la Culture, cela ne m’étonnera pas plus que ça. Fin du quiproquo, me dirais-je …
Fin du quiproquo.
Mais avec les livres, ça va.
J’assure.