sylvie Admin
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| Sujet: L'art dans son absolu Paul Auster Moon Palace Jeu 06 Jan 2011, 05:45 | |
| Paul Auster dans son livre Moon Palace nous livre une vision de l'art. Je vous propose cet extrait de l'édition Le livre de poche, page 180 car si la feuille blanche est un tableau qui s'ouvre à vous, alors lisez ce passage: " Son travail était régi par les exigences d'une double restriction, et chacune à sa manière se révéla positive. Il y avait d'abord le fait que personne ne verrait jamais ce qu'il peignait. Cela paraissait évident mais, loin d'être tourmenté par un sentiment de futilité, Effing éprouvait l'impression d'une libération. Il travaillait désormais pour lui-même, la menace de l'opinion d'autrui ne pesait plus sur lui, et cela seul suffit à provoquer une modification fondamentale dans sa façon d'envisager son art. Pour la première fois de sa vie, il cessa de se préoccuper des résultats, et par conséquent les termes "succès" ou "échec" perdirent soudain pour lui leur signification. Il découvrit que le vrai but de l'art n'était pas de créer de beaux objets. C'était une méthode de réflexion, un moyen d'appréhender l'univers et d'y trouver sa place, et les éventuelles qualités esthétiques que pouvait offrir une toile individuelle n'étaient que le sous-produit presque accidentel de l'effort accompli pour s'engager dans cette quête, pour pénétrer au coeur des choses. Il se débarrassa des règles qu'il avait apprises, pour traiter le paysage avec confiance, en partenaire, en égal, dans un abandon délibéré de ses intentions aux élans de la chance et de la spontanéité, au jaillissement des détails bruts. Il n'avait plus peur du vide qui l'entourait. D'une certaine manière, la tentative de le représenter sur la toile le lui avait fait intérioriser, et il pouvait maintenant en ressentir l'indifférence comme quelque chose qui lui appartenait de même qu'il appartenait, lui, à la puissance silencieuse de ces espaces gigantesques. Les tableaux qu'il peignait étaient crus, racontait-il, remplis de couleurs violentes et étranges, de poussées inattendues d'énergie, un tourbillon de formes et de lumière. Il n'aurait pas pu dire s'ils étaient laids ou beaux, mais la question n'était sans doute pas là. C'étaient les siens, et ils ne ressemblaient à aucun de ceux qu'il avait vus auparavant.Cinquante ans plus tard, il affirmait se souvenir encore de chacun d'entre eux. " | |
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