L’ensemble de mon œuvre est autobiographique mais je ne me suis jamais confessé. Le mauvais lecteur veut tout savoir, immédiatement, « ce qui s’est réellement passé ». Ce qui se cache derrière l’histoire, de quoi il s’agit, qui est contre qui, qui a baisé qui.
(…) Et que cherchent donc le mauvais lecteur - le paresseux -, le lecteur sociologique et le lecteur médisant et voyeur ?
Dans le pire des cas, munis d’une paire de menottes en plastique, ils viennent chercher mon message, mort ou vif. « La substantifique moelle ». « Ce que voulait dire le poète ».Pourvu que je leur transmette, avec mes propres mots, la thèse subversive ou la moralité, le patrimoine politique, une « vision du monde ». Aurais-je l’obligeance de leur communiquer quelque chose de plus concret qu’un roman, quelque chose qui ait les deux pieds sur terre, quelque chose de palpable, comme « l’occupation des territoires est corruptrice », « le mécanisme du fossé social est en mouvement », « l ‘amour l’emporte », « les élites pourries » ou « les minorités exploitées » ?
(…) Ce sont des ragots qu’ils veulent. Du voyeurisme.
(…) On se trompe si l’on cherche le cœur de l’histoire dans l’interstice entre la création et son auteur: il vaut mieux le rechercher non pas dans l’écart entre l’écrit et l’écrivain, mais entre l’écrit et le lecteur.
(…) En d’autres termes, la distance que le bon lecteur choisit d’instaurer pendant la lecture n’est pas celle existant entre l’écrit et le narrateur, mais entre l’écrit et vous-même.
(…)
Les livres auraient donc le pouvoir de vous consoler un peu de vos terribles secrets; pas seulement vous, mon vieux, mais nous aussi qui sommes dans le même bateau; personne n’est une île, mais plutôt une presqu’île, une péninsule, cernée presque de toutes parts par des eaux noires et rattachée aux autres presqu’îles par un seul côté. Voici ce que Rico Danon, dans Seule la mer, pense du mystérieux homme des neiges vivant dans l’Himalaya:
L’enfant né d’une femme porte ses parents sur ses épaules. Non, par sur ses épaules.
En lui. Toute sa vie, il sera condamné à les porter, eux et les légions de leurs parents,
les parents de leurs parents, une poupée russe, grosse jusqu’à la dernière génération.
Où qu’il aille il porte ses parents, il les porte en se couchant, en se levant,
s’il vagabonde au loin ou s’il reste en place. Nuit après nuit, il partage son lit avec son père et sa couche avec sa mère
Jusqu’à ce que son heure arrive.
Ne demandez pas si ce sont des faits réels. Si c’est ce qui se passe dans la vie de l’auteur. Posez-vous la question. Sur vous-même. Quant à la réponse, gardez-la pour vous.
Extraits
Une histoire d'amour et de ténèbres
Amos OZ
Folio n°4265 p.57 et s